Une chute. Ma journée, comme toutes les précédentes, commence par une chute. Certains se lèvent du pied droit, d'autres du gauche. Moi, je me relève les pieds joints, pour éviter toutes ces superstition et autres bêtises du genre. J'ai pris la mauvaise habitude de m'endormir sur mon canapé, et je finis tôt ou tard par en tomber. Souvent au levé du soleil. C'est le signe qu'il faut que je me réveille. Il m'arrive de rester allonger sur le tapis quelques dizaines de minutes, mais ce matin, je suis d'aplomb. Comme presque tous les matins. Je me souviens m'être affalée sur ce sofa la veille après une séance de surf plutôt épuisante. Les courbatures faisaient partie de mon quotidien, mais elles avaient fini par devenir moindres. J'étais quelqu'un de presque insensible à la douleur. Mon père avait toujours voulu faire de moi un petit guerrier. Il avait bien réussi ! J'étais son portrait craché : aussi raisonnable que lui, c'est-à-dire complètement déraisonnable, aussi dure à cuire que lui... enfin bref, on était on ne peut plus semblables. Je dois dire que j'en suis assez fière, ma mère, elle, beaucoup moins. Je sais qu'elle retrouve souvent son mari dans mon attitude mais je vois bien que c'est très douloureux pour elle de me voir mettre ma vie en danger sans cesse. C'est elle qui appelle cela du danger. J'entends par là, le surf, le kite et toutes mes autres activités sportives que je pratique sans cesse. Elle aimerait me voir calme et sereine, sauf que je suis tout, sauf calme et sereine. La nervosité a toujours fait parti de moi, et je ne peux rester que très peu de temps assise ou allongée à ne rien faire. J'ai même beaucoup de mal à m'endormir lorsque je ne suis pas épuisée. Passons ! Ce réveil brutal n'affecte en rien ma bonne humeur. Aujourd'hui, je ne travaille pas. Et comme à chaque jour de repos, je ne sais pas ce que je vais faire. J'ai trop de choix. Trop de choses que je devrais faire, et trop de choses que je ne devrais pas faire. Et comme tout le temps, je choisis celles que je ne devrais pas faire. Peut-être que je rendrais visite à ma mère, avant d'aller surfer. Je ne l'ai pas vu depuis deux semaines, et elle n'est pas très rassurée. Bien sur, je lui envoie quelques textos, pour lui dire que tout va bien, comme toujours. Mais quand même, elle tient à me voir en chair et en os pour vérifier que je n'ai pas la cheville foulée ou bien tout autre os brisé. J'engloutis une brique de jus de fruits, une banane et m'empresse de filer sous la douche pour ensuite enfiler ma combinaison et mon maillot de bain.
J'ai du rester une bonne demi-heure dans la demeure familiale, à raconter ce que j'avais fait les derniers jours, à regarder les nouvelles toiles que ma mère avait peintes durant ses insomnies, à faire le tour du jardin pour arroser les plantes. Une routine dont je ne me lassais pas. Quand j'étais enfant, la famille ne tenait pas une aussi grande place dans ma vie qu'aujourd'hui. J'aimais beaucoup mes parents, mon frère à peine né, mais quand je l'ai perdu, quelques mois après la disparition de mon père, j'ai réalisé à quel point ils avaient été importants pour moi. Depuis, je suis attentionnée face au seul membre de la famille qu'il en reste : ma mère. Je suis donc restée un peu avec elle, à discuter de tout et de rien. Je lui ai menti, comme toujours. Oui maman, mon copain va bien. Non maman, je ne vais pas surfer aujourd'hui, les vagues sont trop énormes. La vérité : pas de copain, et je ne peux pas louper ces énormes vagues ! Elle sait bien que je lui cache la vérité, elle lit en moi comme personne d'autre ne le fait car elle est l'une des seules personnes à m'attendrir. Je déteste cela, d'ailleurs. En parlant de ces vagues. Il y a cette petite crique à laquelle je me rends souvent. Il n'y a que très peu de gens et de belles vagues. Certes, moins grandes que celles du spot de Pipeline, mais toutes aussi ravageuses. C'est de l'autre côté de l'île et ce matin-là, il n'y a personne. Ce n'est pas si étonnant, il doit être neuf heures et la plupart des jeunes travaillent ou dorment à cette heure là. Je m'attelle donc à la tâche et rince ma planche énergiquement alors que j'ai effectué les mêmes mouvements la veille. Que voulez-vous, je suis perfectionniste en ce qui concerne le surf !